Lichens : balade naturaliste en Finistère
N.B. Pour toutes les descriptions d’espèces évoquées ci-dessous, se reporter au site lichensmaritimes.org

Commençons notre balade à Lampaul-Plouarzel, commune littorale du Léon, ouverte aux vents d’ouest de l’Atlantique mais bénéficiant d’une relative protection grâce au cordon d’iles de Béniguet, Molène et Ouessant. Sur la presqu’ile de Beg ar Vir, qui protège un petit port des assauts de la mer, se trouve une vieille maison aux murs de pierres et au toit d’ardoises magnifiquement coloré, colonisé par Xanthoria parietina (photo 1).

Sur le chemin menant à cette maison, en bordure du littoral, on remarquera des vieux poteaux de chêne plantés dans la pelouse maritime. Ils protègent d’anciens fours à goémons. Pour peu que l’on prenne la peine de se coucher dans l’herbe rase et que l’on examine ces supports de bois, on découvrira des paysages de lichens extraordinaires, tapisseries et ornements débridés, fantaisies sans limites autre que celles du temps qui passe, du vent et des embruns (Photo 2), le tout, à base de Diploicia canescens, Ochrolechia parella et Xanthoria parietina.

2- Diploicia & Ochrolechia &

En quittant Lampaul-Plouarzel, prendre la route du Conquet et rejoindre la presqu’ile de Kermorvan après avoir longé la plage des Blancs Sablons. Emprunter le sentier côtier par le nord jusqu’à un ancien fort situé à côté de Porz Pabu. Sur les rochers découverts à marée basse de l’irvi, permettant l’accès au fort, abondent les berniques et les balanes. Sur les coquilles coniques de ces espèces, on peut observer des lichens marins, les Collemopsidium qui présentent la particularité de vivre dans des cavités creusées dans les coquilles (Photo 3).

Sur la route du Conquet, au lieu-dit l’Aber du Conquet (début de chemin au lieu-dit Le Moulin d’en Bas) se trouvent des pins maritimes. Sur les troncs et sur certaines pommes de pin, il est possible d’apercevoir des taches jaunes-oranges formées par Chrysothrix  candelaris  (Photo 4).

Notre balade emprunte ensuite la côte rocheuse entre le Conquet et Brest.  Pour les randonneurs, il est tout à fait possible d’emprunter le GR 34 (qui rejoint Saint-Jacques de Compostelle). Rejoindre l’anse du Petit Minou. Le phare du Petit Minou, situé à côté, est relié à la côte par un pont de pierres dont le parapet est réalisé en maçonnerie de blocs massifs taillés de granite. Une première approche rapide donne l’impression que les murs sont lépreux. Ce n’est qu’une impression. Dès que l’on examine avec attention à la loupe, on découvre un monde fascinant et graphique dont on ne présentera ici que deux espèces caractéristiques : Xanthoparmelia pulla, dont les apothécies dessinent un somptueux motif de tapisserie (Photo 5).

Avec pour voisine immédiate une espèce à l’aspect banal à faible grossissement : Pertusaria pseudocoralina (Photo 6). Pourtant, dès que l’on passe à un grandissement supérieur, les organes de reproduction asexuée que sont les isidies apparaissent comme autant de petites excroissances en forme de massue, formant ainsi une espèce de tapis. (Les concepteurs de matelas seraient bien inspirés de se rappeler que le bio mimétisme a permis de réaliser des merveilles à commencer par les « scratchs » des chaussures pour enfants).

A Brest, à proximité du fort Montbarey, jusqu’à une période récente il était possible d’observer sur une terrasse ouverte, exposée à la pluie, au soleil et au vent un plot de bois dur, inséré dans le béton. Au fil des années, les chiens des promeneurs ont arrosé presque quotidiennement ce bout de bois mort qui, touché par tant de constance, a développé à sa surface supérieure une couverture continue de lichens du genre Lecanora. Observé d’un peu plus près, on y découvrait un véritable HLM à lichens, sans la moindre surface libre (photo 7). A noter que pour obtenir une couverture totale de la surface du bois, il a fallu attendre pas moins de quinze années. Les lichens ne bougent pas, certes, mais leur croissance extrêmement lente peut mettre à rude épreuve la patience des observateurs. Inutile d’être pressé ! Si le modèle ne fuit pas, il faut parfois l’attendre très longtemps !

A proximité, à côté du parc de l’Arc’Hantel,  de jeunes arbres d’une quinzaine d’années poussent en bordure d’une rocade située à  l’ouest de l’agglomération brestoise. Les rameaux de certains arbres, et notamment les troènes, les hêtres, les noisetiers, les pruneliers sont largement colonisés par des espèces de lichens classiques des arbres. Sous le climat océanique breton, et à quelques encablures de la mer, une espèce emblématique s’épanouit et prend, observée en macrophoto, des airs de récifs coralliens (photo 8). Il s’agit de Teloschistes chrysophtalmus. A noter que cette photo a été réalisée au moyen de la technique du « bracketting » de mise au point (focus stacking) avec 16 prises de vue successives.

Prendre ensuite  la direction de Quimper et rejoindre une vieille forêt sous influence du climat océanique, la forêt du Cranou située à côté du Faou. Caractérisée par un niveau moyen élevé d’humidité, les troncs des vieux chênes et des vieux hêtres sont colonisés par des espèces emblématiques de ce type de milieux, dont Lobaria virens  (photo 9) et Lobaria pulmonaria.

Poursuivre en direction de la Presqu’Ile de Crozon. Rejoindre le bois de Lesteven à proximité de la plage de la Palue, réputée pour ses vagues et ses surfeurs. Dans ce bois étrange de faible hauteur soumis aux vents d’ouest dominants, certaines zones sont peuplées presque exclusivement de frênes. En y regardant de plus près, leurs écorces apparaissent comme autant de mosaïques piquetées de petits points sombres. Il s’agit en fait de mosaïques assez extraordinaires créées par deux espèces proches de lichens : Pyrenula macrospora et Pyrenula chlorospila (Photo 10).

Un peu plus à l’ouest, toujours en Presqu’Ile de Crozon, sur les pelouses maritimes qui surplombent la mer, des poteaux de bois enfoncés dans le sol en bordure de parking empêchent les voitures de touristes de s’aventurer sur les espaces protégés. Le sommet de certains de ces vieux poteaux, partiellement protégés par des herbes hautes, sert de perchoirs aux oiseaux marins et aussi de milieu de prédilection au développement d’une espèce de lichens (Candelariella  coralliza) qui, en ces lieux, compose de véritables tableaux très graphiques et très colorés (Photo 11).

Sur le chemin du retour, arrêt obligatoire à quelques kilomètres de là, chapelle St. Julien. D’une manière générale les vieux murs des chapelles, ainsi que les écorces des vieux hêtres et chênes des  enclos paroissiaux sont des supports propices à la colonisation par une très grande variété de lichens.
Sur le mur nord en pierres siliceuses de St. Julien une espèce non formellement identifiée (Buellia subdisciformis ?), réalise de magnifiques mosaïques agrémentées de dentelles (Photo 12).

Toujours sur le chemin du retour vers Brest, nouvel arrêt en Presqu’Île de Plougastel, non pour une dégustation de fraises, mais pour la visite de l’enclos paroissial de la chapelle Ste Trémeur. Un examen des écorces des vieux hêtres et vieux chênes permet de comprendre assez vite que certains peuples observateurs de l’antiquité ont pu inventer l’écriture idéographique en s’inspirant simplement des scènes graphiques présentes sur les écorces.
Sur hêtre, on note la présence de colonies de Phaeographis dendritica, dont les lirelles (apothécies allongées plus ou moins immergées dans le thalle) composent des motifs rappelant certains caractères chinois ou certains kanas des syllabaires japonais (Photo 13). Nul n’a pu jusqu’à présent déchiffrer les messages inscrits dans l’écorce, pourtant inlassablement répétés depuis des millénaires.

A quelques mètres de là, un vieux chêne à l’écorce torturée. Dans un repli d’écorce, un message caché nous attend, tout aussi mystérieux que le précédent (Photo 14).

Quand la nature reprend ses droits.

 Cette balade pourrait aussi bien s’achever au Diben, à côté de Morlaix, où des épaves de vieux bateaux de pêche en bois se décomposent lentement sur les prés salés du haut de l’estran. Et au milieu d’écailles de peinture dont les multiples couches successives pèlent comme un oignon en un kaléidoscope de couleurs, quelques espèces de lichens s’aventurent sur ces substrats hautement toxiques du fait de leurs concentrations élevées en métaux. Avec quelquefois des couleurs pas tout à fait naturelles, comme celles de la colonie de Xanthoria parietina présentée ici (Photo 15).

On pourrait aussi la poursuivre sur d’autres lieux où des épaves abandonnées depuis plusieurs années offrent des surfaces de bois peintes ou des surfaces synthétiques, métal ou composite en général peints. Dans certains cas, comme sur le site de Quelmer dans l’estuaire de la Rance (Photo 16), de vieilles coques sont colonisées par des drôles d’organismes non identifiés, dont on suppose qu’il s’agit de lichens, qui composent un paysage étonnant digne d’une autre planète.

On ira de surprise en surprise en examinant d’autres épaves, dont celles cachées dans des anses secrètes de la rivière du Bono dans le Morbihan. Sur une coque en aluminium peinte particulièrement laide qui fait hurler les amoureux du littoral, fleurit une espèce non identifiée de lichen dont la croissance rayonnante compose un paysage singulier. Observé à la loupe, il ne faut pas beaucoup d’imagination pour se surprendre à survoler des iles et des atolls inconnus (Photo 17).

On pourra achever cette promenade littorale par l’arrière port du Guilvinec où reposent pêle-mêle quelques épaves de vieux bateaux de pêche en bois et de multiples coques en plastique disgracieuses. Comme très souvent, la grâce n’est qu’une affaire de point de vue et au fur et à mesure que l’on se rapproche des bordés de bois abandonnés, les perspectives changent et l’attention se porte naturellement sur une tâche blanche contrastant avec le brun usé et sale laissé par la vase séchée. Alors l’observateur aura le plaisir de  découvrir une broderie vivante d’un blanc immaculé : une colonie de lichen au nom inapproprié de Ochrolechia palescens ( de « ôkros », jaune pâle  et « lechia », lichen en grec) (Photo 18).

On souhaitera au lecteur la curiosité d’approcher son nez des rochers et de tous types de substrats lors des prochaines balades en montagne ou sur le littoral, quels que soient le pays et la latitude, et … d’ouvrir les yeux comme s’il découvrait le monde pour la première fois. Il y découvrira un univers trop souvent ignoré, et quelques véritables tableaux de maîtres, abandonnés à la pluie, à la neige, aux embruns, au vent et même, si l’on écoute bien, aux orages et aux rêves des nuages. Et, quand accroché par ces minuscules paysages singuliers il sera tenté d’y retourner, il découvrira à nouveau un monde après le monde, qui lui avait échappé lors de la première visite. C’est ainsi que retournant dans la forêt du Cranou, il pourra admirer que certaines algues, qui composent avec des champignons d’extraordinaires assemblages. Ces algues sont capables de fausser compagnie à leurs champignons favoris et de vivre et prospérer seules, à l’image de Trentepohlia aurea sur les murs d’un ouvrage d’art de la ligne SNCF Quimper-Brest (photo 19).

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